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dimanche 1 juin 2014

Ceux dont on parle.

Marcel Sembat.


C'est une belle victoire qu'a remporté le socialisme le jour où l'un se ses représentants les plus autorisés, M. Marcel Sembat, s'est vu confier le soin de présenter le rapport annuel sur le budget des Postes et Télégraphes. Il est peut être peu de services publics qui emploient un aussi grand nombre d'agents subalternes que celui des Postes, et les multiples intérêts qui sont confiés à ces modestes serviteurs, autant que le travail pénible qu'on exige d'eux, contribuent à tendre leur situation particulièrement intéressante. L'examen et la critique de ce service étaient bien faits pour tenter un socialiste.
La conclusion du rapport de M. Sembat, comme il fallait s'y attendre, n'est pas que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il regrette que l'administration postale ne communique pas à ses agents leurs dossiers personnels, et il proteste contre l'interdiction de se syndiquer qui pèse sur les facteurs.



M. Sembat reproche aussi à l'administration de gaspiller l'argent, et il cite certains exemples assez amusants.
Les chapeaux de paille fournis aux facteurs sont achetés en grande quantité à Paris, et expédiés en province. Un jour on demanda à Toulon, un chapeau pointure 57: le chapeau envoyé n'allait pas, on le retourna à Paris. De Paris, on expédie un nouveau chapeau, pointure 57. Bien entendu, il ne va pas mieux que l'autre. Alors on remarqua que la mesure avait été prise sur un képi, et, comme la paille prête moins que le drap, le chapeau de paille était trop petit: on le renvoya à Paris en demandant la pointure 59. Le chapeau coûtait 1,75 fr.Il revint à 6,75 fr. avec le port, et le facteur ne put le mettre qu'au mois de ... novembre!
En 1902, le bureau des téléphones de Courbevoie fut transformé à grands frais; on travailla plus d'un mois, on employa 2.000 mètres de câbles et toutes sortes de fournitures. Quand le bureau fut installé et remis à neuf, on s'aperçut qu'il était à fin de bail... et on déménagea.
Mais ce qui a surtout frappé le rapporteur du budget des Postes, c'est la "crise postale", car il paraît qu'il y a une crise postale, autrement dit, l'administration est débordée, et "l'afflux de correspondance lui tombe sur le dos comme un cataclysme". (Je laisse à M. Sembat la paternité de cette vigoureuse image.)
Y croyez-vous, cher lecteur, à la crise postale, vous qui recevez régulièrement Mon Dimanche chaque semaine, pour un centime ou deux? Pour moi, je crois beaucoup moins aux lettres perdues qu'aux mensonges de ceux qui prétendent les avoir écrites; les cartes postales illustrées se perdent, il est vrai, assez souvent, mais dans les poches de certains, et si l'on augmentait le nombre des agents, comme on augmenterait encore le nombres de poches, il arriverait moins de cartes encore à destination.
Le service des Télégraphes, il est vrai, est bien défectueux. Que dire de celui des Téléphones, sinon qu'ici nous avons affaire à des dames et que la plus grande douceur s'impose. Lorsqu'elles vous répondent: "Pas libre!" dites galamment: "J'attendrai que votre cœur se soit dégagé." Si elle vous disent: "Je n'ai plus de lignes.", répondez: "Celles de votre visage sont divines.", mais n'insistez pas indiscrètement pour obtenir votre communication.
Après avoir signalé l'oeuvre de M. Sembat, j'aurais voulu parler de l'homme, mais c'est un travailleur modeste dont la vie n'a point de péripéties. Il se lève le matin et se couche le soir, il s'habille de drap, fait trois repas par jour, et quant au reste, cela ne regarde ni vous, ni moi.

                                                                                                               Jean-Louis.

Mon Dimanche, 4 février 1906.

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