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vendredi 20 juin 2014

Celles dont on parle.


Réjane.

Gabrielle Réju, dite Réjane, Mme Porel depuis 1892, exquise Parisienne et mère de famille accomplie, a vu le jour à Paris, il y a quarante six ans.
Réjane est spirituelle, un peu commune et très coquette. Quand elle était enfant, elle mettait en joie les artistes de l'Ambigu, où son père était contrôleur en chef, en faisait des imitations fort réussies de leurs propres tics.
Quand elle veut faire mieux, donner l'illusion d'une femme qui vit, qui sent, qui souffre, elle a trois moyens invariables: soupirer, renifler et se frictionner le nez; si vous le voulez bien, nous n'approfondirons pas les raisons toutes personnelles qui a conduit Réjane à faire un usage aussi fréquent de son appendice nasal, pour en tirer des effets d'une originalité indiscutable.



Voyez-vous Réjane sous-maîtresse de pensionnat? Peu s'en fallu qu'elle ne débutât dans ces fonctions, à raison de 40 francs par mois, avec la nourriture et le logement. Mais la jeune Gabrielle se sentait une autre vocation; elle réussit à vaincre la résistance de sa mère, qui ne goûtait guère l'état de comédien, où son mari n'avait trouvé que des déboires.
C'est avec Régnier, qui venait de donner sa représentation de retraite à la Comédie-Française, que Réjane prit ses premières leçons. A dix-sept ans, elle obtenait, au concours du Conservatoire, un 2 ème prix.
Entrée au Vaudeville pour six ans, elle y eut quelques succès, et faillit renouveler son engagement à des conditions peu brillantes. Elle avait remis au concierge du théâtre la lettre par laquelle elle annonçait au directeur qu'elle acceptait ses offres. Le même jour, l'auteur dramatique Paul Ferrier lui offrit un rôle dans la  Doctoresse, qu'il allait donner au Palais-Royal. Réjane se précipite chez le concierge du Vaudeville: il avait encore la lettre! Elle la reprend, la déchire, et renifle victorieusement. La Doctoresse ne fut pas reçue au Palais-Royal; l'auteur et l'interprète s'en allèrent vainement, sous la pluie, la proposer au directeur des Menus-Plaisirs; mais ces tribulations prirent fin, et Réjane entra aux Variétés.
Plus tard, elle retourna au Vaudeville et il y a des chances pour qu'elle y reste longtemps encore.
Réjane aime à être chez elle; ne pouvant emporter sa loge en voyage, elle s'est fait fabriquer une sorte de tente en étoffe japonaise; quand elle est arrivée à destination, on sort la tente d'une malle, on la dresse, on y accroche des écrans, des masques; on déplie de même des sièges, une chaise longue, rien n'y manque, que M. Porel et les petits Porel. J'ai tort de dire: les petits Porel; Réjane n'a jamais eu d'enfants: ils ont tout de suite été de grandes personnes, et M. Porel jeune fut produit dans le monde, à quatre ans, en habit et chapeau de soie: il se conduisait en parfait gentleman, ce qu'on ne pourrait pas toujours dire des hommes du monde.

                                                                                                                    Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 24 mai 1903.

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